vendredi 7 décembre 2012

Jack Daniel's par Raphaël Coelho

Un arrière goût de whisky bon marché hantait ma bouche et brûlait mes papilles tandis que l'effort et l'épuisement de ma course m'asséchaient la gorge. Je n'étais pas bien sûr de ce que je faisais là, ni même d'où je me trouvais, tout ce que je sais, et je m'en rends compte maintenant, c'est que je m'appelle Jack Daniels et je suis votre narrateur. Vous pourrez dire que je suis un mauvais conteur et que j'utilise un vocabulaire trop cru, et je vous répondrai que je m'en contrefous. En effet, je ne vous ai jamais forcé à lire cette lettre, qui d'ailleurs, ne vous est pas destinée.
A qui était-elle donc alors destinée? Çà, ce ne sont pas vos affaires, et de toute manière, vous n'êtes aujourd'hui qu'une simple marionnette prête à suivre mes instructions, dont la curiosité mènera bientôt à un déclin certain. Arrêtons donc tout de suite ce jeu de questions-réponses que nous venons pourtant à peine de commencer, mais qui, je le sens, est prétexte à m'énerver.
Je disais donc que je m'appelle Jack Daniels, que vous le croyiez ou non, et que je suis votre cher narrateur, que vous le vouliez ou non.
Nous nous trouvons un soir ou un matin, peu m'importe, à l'heure de la journée où le Soleil et la Lune semblent cohabiter dans le ciel, à l'heure où, dans les ténèbres et le brouillard, sortent les bêtes tapis dans l'ombre et je me décidai à faire de même. C'est à ce moment là que je me dirigeais alors vers la lumière, cette lumière aussi éblouissante qu'aveuglante. Perdu au milieu de nul part, j'empruntais alors la voie de mon destin, me laissant emporter par l'instinct primaire de cet animal que j'étais. L'odeur du sang était trop alléchante pour que je la laisse filer, je me devais donc de la suivre à la trace, malgré ce qu'il m'en coûterait.

Je m'appelle Jack Daniels et je suis un monstre.

Il y a des fois dans la vie où l'on ne peut plus tenir la barre, et qu'à la dérive, l'on se sente forcé de chavirer, au prix de notre propre désolation. C'est ce qui arriva ce jour-là, lorsque je l'aperçus pour la première fois. La beauté de ses formes malgré l'insignifiance de sa chair me laissa sans voix, ses lèvres pulpeuses et provocantes méritaient d'être mordues et ce regard désintéressé qu'elle m'envoya ne demandait qu'à être corrigé. C'est ce que je me surpris à faire. Le désir que je ressentais pour elle était inexplicable et ces pulsions incontrôlables qui m'envahirent, bien qu'horriblement malsaines, me possédèrent et guidèrent mes actes jusqu'à ce moment là.

C'est ici, cher lecteur inconnu, que vous devriez rouler cette feuille en boule et la brûler en cendres volatiles afin que personne ne puisse me lire. Mais je vous connais, je sais que vous ne tiendrez pas compte de cet avertissement, je sais de quel genre vous êtes: vous êtes du genre pervers, trop curieux pour laisser ce message disparaître. Car devenue à vos yeux trop précieuse, cette feuille de papier représente en ce moment-même une possibilité d'évasion de votre train-train ridicule, et le ton inquiétant que je m'efforce d'installer entre nous ne fait que vous séduire, ainsi, je fais de vous mon pantin.

Vous êtes encore là? Et bien, je m'appelle Jack Daniels, et je fais de vous un monstre.

Les ruelles sombres ne sont pas de bons endroits pour traîner vos formes alléchantes mademoiselle . En effet, après l'avoir suivie une bonne demi-heure sans savoir pourquoi, nous nous trouvâmes tous deux seuls, à l'abri des regards... Le claquement de ses talons sur le sol résonnait contre les parois grisâtres du coupe-gorge où nous nous trouvions, je me décidai alors, telle une bête après sa proie, de me tâpir encore quelques instants dans l'ombre en me guidant de ce son reconnaissable et unique dans le silence mortel d'une heure si tardive, pour bondir au bon moment, ne pas manquer ce faible et éphémère instant qui serait ma seule chance d'accomplir ma tâche. C'est alors qu'un frissonnement parcourut son échine, que sa peau tressaillit comme si le poids de mon regard s'abattit sur ses épaules. Elle tourna la tête en ma direction et avant même que nos yeux ne se croisent, je bondis.

Mes mains étaient maintenant recouvertes d'un rouge écarlate et mes sous-vêtements souillés par mon propre sperme. Que s'était-il passé? Je n'en savais rien, mais je l'eus vite compris lorsque j'aperçus un moignon pâle dépasser d'un monceau d'ordures. Mon dieu, qu'avais-je fait? -ce que tu devais faire- Pourquoi l'avais-je fait? -parce tu voulais le faire- Comment avais-je atterri ici, à cet endroit et dans cette situation? -ça je ne te le dirai pas-

Mon cœur se mit à s'emballer et je fuyais sans ne pouvoir contrôler ni l'allure de ma course, ni les battements de mon cœur, ni les souvenirs atroces que mon cerveau s'amusa à me rappeler. Durant ma course, je me vis en érection, étranglant cette pauvre fille innocente et faible, cognant son doux visage sur les pavés alors que je m'apprête à la pénétrer.
Panique, sentiment de culpabilité, j'essayais alors de me mentir à moi-même en me convaincant que rien ne s'était passé malgré ce sperme collé à mon entrejambe et ce sang sur mes mains. Mon torse perlait de sueur, mon front dégoulinait et ma cervelle bouillonnait, à ce moment, j'éprouvais un profond dégoût pour moi-même et une certaine incompréhension sur ce qu'il m'arrivait. C'est alors que ma fuite m'amena à une ruelle sombre.
Je parcourais maintenant cette ruelle interminable depuis cinq minutes sans en voir la fin et sans aucune bifurcation envisageable. Un claquement familier me surprit et j'avais beau me déplacer à vive allure, ce son venu de nulle part ne désemplissait pas. Je ne voulais pas être vu, pas après çà, pas dans cet état, mais je n'arrivais pas à déterminer la provenance de ce son que je fuyais alors qu'il semblait, au contraire, s'approcher. -Des talons.- Ce bruit familier s'avérait être celui de talons sur des pavés. C'est alors qu'elle me surprit, de ses yeux vides à demi-révulsés. -Elle.- Un cri intérieur, aigu et bourdonnant résonna dans ma tête. C'est cette vision d'horreur qui fut assourdissante car je la reconnue. -Elle.- Celle qui me regardait de manière terrifiante était morte, c'était elle, elle que j'avais tué quelques minutes auparavant. Non, impossible ! Pas elle ! Pas ici, pas maintenant, c'était impossible !
Et de la même manière qu'elle m'apparut, elle s'effaça... Comme si rien de tout çà n'était vrai. Mais il restait ce sang coagulé sur ma peau et cette odeur de cyprine qui émanait de ma queue...
La frayeur qui m'envahit entraîna ma course, je fus comme possédé, comme un chien fou je fuyais en glapissant sans me préoccuper de mon état physique. Un arrière goût de whisky bon marché hantait ma bouche et brûlait mes papilles tandis que l'effort et l'épuisement de ma course m'asséchaient la gorge.

Tandis que je la pénètre, je la vois se débattre. Tandis que je jouis, je la vois pleurer. Tandis que je pleure, elle revient me hanter.
Cette salope qui sentait bon la pêche avait des yeux de nacre que vous ne pourriez qu'admirer même lorsqu'ils vous demandent pitié. A chaque va et vient de ma queue dans son antre souillée son pouls battait de plus en plus fort de peur, de haine, de dégoût et de désespoir. Son pouls s'accélérait et se renforçait, mon membre fit de même. Nos âmes dansèrent alors à l'unisson sur le rythme de nos corps qui se joignèrent, bientôt nous ne ferions qu'un, l'un dans l'autre, l'un sur l'autre. Nos pouls s'accordèrent, nos organes s'entrechoquèrent, bientôt nous ne ferions qu'un. Nos consciences se croisèrent dans une valse violente dont je menais la danse. Tap, tap, un, deux, trois, je l'amène à gauche, je la tire vers moi. Nos âmes tournoient dans le vide de l'instant et s'effacent peu à peu pour s'entremêler, alors que j'éjaculerais, alors que j'infecterais son corps de ma présence éternelle. Le moment fatidique arriva, la pression montait, l'orgasme s'approchait, et je sentis quelque chose me pénétrer, j'éjaculai. Nos deux âmes se séparèrent pour retrouver leur unicité, la danse était terminée, l'orchestre partit. Son âme s'évapora, je pouvais enfin lâcher la pression de mes doigts sur son cou, la mienne était gonflée, renforcée, alors que mon membre se ratatinait. Mon âme s'était nourrie de la sienne et se retrouvait maintenant rassasiée, tout ce qui restait d'elle avait été dévoré, tout ce qui restait d'elle était maintenant en moi. Et merde, elle m'a eue...
Cette salope a décidé de me pourrir la vie car j'ai mis fin à la sienne, alors que je la violais elle en profita pour me pénétrer le crâne.

Ma tête me fait mal... Ma cervelle tremble... Je la sens qui est en moi. Elle est là, partout et nul part à la fois, je la sens qui est en moi... -Elle est là-
Je me retourne, elle est là. Immobile, elle se tient là à chaque fois que je regarde derrière moi. Je ferme les yeux, elle est là, son regard de nacre brille au fond de moi.
Acculé, je ne puis plus rien faire. Le rythme de mon pouls me rappela ses talons. A gauche, à droite, devant, derrière, j'eus beau me retourner, chasser de toutes parts, épier le moindre mouvement, rien hormis ce son émanant de nul part.
Je ne pouvais plus penser, Elle, je ne pouvais plus continuer, Elle, j'étais infecté, ma conscience avait été détournée, polluée, Elle, Elle, Elle!
J'étais au bord du gouffre, et j'y plongeai. Peu à peu je m'effaçais, et ma conscience s'éteignait au fur et à mesure que mon cerveau s'endormait.
Je ne sentais plus la douleur, je ne sentis plus rien. Les parois m'écorchaient, indolore. La rocaille m'arrachait les flancs. Mes mains tremblaient. Ma chair s'émiettait. Mon regard, flou. Perception nulle. Sa présence. Un contact. Un regard. Elle est là. Je la vois. En moi. Elle.

Nos âmes avaient dansé à l'unisson de la plus belle manière qui soit, alors que nous faisions l'amour, je rentrais en elle et elle entra en moi. Lorsque nos corps s'unirent et nos esprits se mêlèrent, je la tuai, je la tuai alors qu'elle était encore en moi. Notre union lui permit de me hanter à jamais, avant de disparaître elle put me marquer au fer rouge, m'emporter avec elle dans l'au-delà.

Je m'appelle Jack Daniels, enfin je crois...  Une partie d'elle est en train de pourrir en moi, et j'agonise maintenant en vous.

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