jeudi 21 février 2013

Cadillac par Raphaël Coelho

J'entends les premières notes d'un Duke Ellington à la radio et je reconnais tout de suite la chanson: It don't mean a thing ( If it ain't got that swing). Je me surprends à chantonner, je ne chante jamais d'habitude, mais cette chanson ne vous laisse pas réellement le choix.
Je vois le paysage défiler au fur et à mesure que j'appuie sur la pédale d'accélérateur. Le paysage file à toute allure, le moteur de ma Cadillac ronronne et Duke Ellington me berce. Je me dis que j'aime beaucoup çà. Je me dis que je suis bien là. Les cuivres me réchauffent le coeur alors que le Duke me caresse dans le sens du poil.
J'ai dépassé le cimetière sans même y jeter un regard, çà aussi c'est la première fois. En temps normal, j'aurai sûrement versé une larme. Je me demande si le Duke est le seul responsable de cela...
Je me rends compte que c'est la première fois depuis qu'elle est partie que je me suis mis à chanter avec autant d'entrain. Je chantais beaucoup avant, et elle adorait çà. Elle détestait ma voix, je n'étais pas très bon chanteur, mais elle adorait se ficher de moi, et elle savait que j'aimais çà.
Je me rends compte que c'est la première fois depuis qu'elle est partie que je repense à elle avec le sourire... Je me dis que j'aime bien çà, et je préfère me rappeler toutes ces bonnes choses que nous avons vécu plutôt que ce qui est arrivé.
Un panonceau annonce Shelbyville quelques miles plus loin sur la route. Ce n'est pas du tout là que je dois m'arrêter mais je me dis que je ferais bien une légère halte pour acheter un paquet de cigarettes et peut-être une bouteille de gin, si l'envie me prend. Cela faisait aussi plusieurs années que je n'avais pas fumé, mais le Duke m'en avait donné envie.
La supérette devant laquelle je m'étais garé était plutôt glauque, mais j'aimais bien l'emplacement et la façon dont le soleil y faisait briller le chrome de ma Cadillac J'ai fait le tour des étalages et ai attrapé des crackers sur la route avant de me souvenir que les cigarettes et l'alcool étaient au même endroit, derrière le comptoir. Je pose les crackers délicatement pour ne pas les émietter et demande à la caissière de rajouter un paquet de Philip Morris et une bouteille de gin bon marché. Elle s'éxécute, je paie, elle me souhaite une bonne journée et me souris. Je lui souhaite de même et lui rend son sourire.
Je m'installe au volant de ma Cadillac mais ne démarre pas tout de suite. J'allume une cigarette et lance la radio au beau milieu d'un chef d'oeuvre de Louis Armstrong. Je savoure chaque bouffée de tabac et chaque note de musique et je me dis que c'est une très bonne radio et que j'ai de la chance d'être là, ici et maintenant. Je me rappelle ce sourire de politesse insignifiant que m'a lancé l'employée de la supérette et je me dis qu'elle était jolie. Je me rappelle son très léger décolleté bien rempli et la façon qu'elle avait de tenir mes articles avec ses doigts de porcelaine et je me permets quelques pensées peu catholiques. J'imagine la forme de ses seins, les courbes de ses hanches et je me dis qu'elle est encore plus belle sans son uniforme à la con. Je me surpris à révâsser et je me dis que çà faisait longtemps que je ne l'avais pas fait. Je démarre en repensant une dernière fois à la jolie caissière et je me dis que çà faisait longtemps que je n'avais pas été attiré par une fille de cette manière.
Le moteur gronde, je reprends la route sous un soleil de plomb, au frais dans ma Cadillac, avec une cigarette allumée, une bouteille de gin entamée et un sourire au coin des lèvres, tout cela en la charmante compagnie de Louis Armstrong. L'orchestre s'emballe en même temps que je m'éloigne.

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